Conflits et tribunaux
La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt de principe Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 RCS 1235. que, même si les tribunaux ne sont pas tenus d’appliquer des codes de déontologie professionnelle en exerçant leur compétence afin de révoquer un avocat au dossier dans une action en raison d’un conflit d’intérêts, la cour devrait tenir compte des énoncés de normes professionnelles dans un code de déontologie, qui représentent une déclaration importante de politique d’intérêt public. Dans l’affaire en question, le juge Sopinka a déclaré que le corps législatif a confié aux organismes réglementaires le rôle d’élaborer des normes professionnelles et que les tribunaux jouent simplement un rôle de supervision et traitent des questions de déontologie seulement dans le contexte d’actions judiciaires.
Dans Succession MacDonald, la Cour indique que, d’ordinaire, une affaire soulève deux questions :
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L’avocat a-t-il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat-client, qui concernent l’objet du litige? Afin de satisfaire à l’exigence, l’avocat doit, sans divulguer de détails des renseignements privilégiés, convaincre le tribunal que, selon la perception raisonnablement attendue d’un membre du public, aucun renseignement confidentiel qui concerne l’objet du litige n’a été communiqué entre l’avocat et le client pendant l’affaire antérieure. Si l’existence d’un lien antérieur (dont la connexité avec le mandat est suffisante) est prouvée, un tribunal doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l’avocat convainc le tribunal qu’aucun renseignement pertinent ne pouvait être communiqué.
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Y a-t-il un risque que ces renseignements confidentiels soient utilisés au détriment du client? Un avocat qui a pris connaissance de faits confidentiels pertinents ne peut agir contre un client ou un ancien client. En outre, il y a tout lieu de croire que les avocats qui collaborent échangent des renseignements confidentiels et il faut des preuves claires et convaincantes que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour veiller à ce qu’aucun renseignement ne soit communiqué au sujet du client contre lequel un autre avocat du cabinet agit.
Dans R. c. Neil, [2002] 3 RCS 631, la Cour suprême a établi la règle générale de la ligne de démarcation très nette afin de déterminer s’il existe un conflit d’intérêts. En ce faisant, la Cour a indiqué que c’est le cabinet, et non seulement l’avocat, qui a une obligation fiduciaire envers son client. La règle générale interdit à un avocat de représenter un client dont les intérêts sont directement opposés aux intérêts immédiats d’un autre client actuel — même si les deux mandats n’ont aucun rapport entre eux — à moins que les deux clients n’y aient consenti après avoir été pleinement informés et que l’avocat estime raisonnablement pouvoir représenter chaque client sans nuire à l’autre.
Dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. McKercher LLP, [2013] 2 RCS 649, la Cour Suprême du Canada a ajouté que la portée de la règle de la ligne de démarcation très nette est limitée. Elle s’applique uniquement lorsque les intérêts immédiats des clients s’opposent directement dans les dossiers où agit l’avocat et elle s’applique uniquement aux intérêts juridiques. Elle ne peut être invoquée pour des raisons d’ordre tactique et elle ne s’applique pas lorsqu’il est déraisonnable pour un client de s’attendre à ce que le cabinet d’avocats n’agisse pas contre lui dans des dossiers n’ayant aucun lien avec le sien (voir le paragraphe [1] du commentaire de la règle 3.4-1).
Afin de déterminer s’il faut révoquer la représentation d’un avocat dans le cas où il a été établi que l’avocat a un conflit d’intérêts, le tribunal déterminera si la déclaration d’inhabilité est nécessaire
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pour éviter le risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels,
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pour éviter le risque de représentation déficiente ou
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pour préserver la considération dont jouit l’administration de la justice.
Voir le para. [61] de McKercher
Si vous avez accepté de représenter un client et que vous vous trouvez dans une situation de conflit d’intérêts éventuel, vous devriez en aviser les responsables de la Réserve pour la responsabilité professionnelle et obtenir leurs conseils quant à la façon de procéder.
Si un conflit survient lorsqu’une cour ou un tribunal est saisi de l’affaire et que vous devez retirer vos services, assurez-vous de suivre les procédures qui régissent le retrait des services. (Le sujet est traité dans le module sur le retrait des services.)